Cass. civ. 3ème, 30 janvier 2025, n° 23-13.369 et 24-13.476
Cass. civ. 3ème, 20 mars 2025, n° 23-20.475
Cass. civ. 3ème, 3 avril 2025, n° 23-19.248
MARCHES DE TRAVAUX – Réception judiciaire – Conditions – Réserves – Réception tacite – Conditions
Trois arrêts rendus par la Haute juridiction en l’espace de quelques semaines, sur le sujet de la réception de l’ouvrage constituent une magnifique occasion de revenir sur cette notion essentielle du droit de la construction au travers d’un bref commentaire groupé. Un arrêt rendu le 30 janvier 2025, destiné à la publication, traite de la réception judiciaire. Les deux autres, datés des 20 mars et 3 avril 2025, sont consacrés à la réception tacite.
L’arrêt du 30 janvier 2025, fort intéressant, a plus précisément pour objet la question de la caractérisation des réserves pouvant affecter la réception judiciaire.
Dans cet arrêt, la Haute juridiction rappelle d’abord très classiquement qu’en application des dispositions de l’article 1792-6 du Code civil, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu (Cass. civ. 3ème, 29 mars 2011, n° 10-15.824 ; Cass. civ. 3ème, 29 novembre 2011, n° 10-25.033 ; Cass. civ. 3ème, 20 novembre 2013, n° 12-29.981 ; Cass. civ. 3ème, 19 janvier 2017, n° 15-27.068). Sur ce point, on rappellera très brièvement que, selon la jurisprudence, l’ouvrage est en état d’être reçu lorsqu’il est utilisable conformément à sa destination. Par exemple, en présence d’un immeuble à usage d’habitation, le juge doit vérifier que l’ouvrage était effectivement habitable à la date envisagée de la réception judiciaire (Cass. civ. 3ème, 12 juillet 2018, n° 17-16.961 ; Cass. civ. 3ème, 8 décembre 2021, n° 20-21.349).
Elle a ensuite ajouté que la réception judiciaire pouvait être assortie de réserves, avant de préciser que « ces réserves correspondent aux désordres dont il est établi qu’ils étaient alors apparents pour le maître de l’ouvrage ». Si le principe de l’admission de réserves dans le cadre d’une réception judiciaire ne pose pas de véritables difficultés (Cass. civ. 3ème, 17 octobre 2019, n° 18-21.996), la caractérisation de ces réserves peut interroger. Lorsque le maître de l’ouvrage a rapidement sollicité l’entreprise pour qu’elle reprenne un désordre constaté, il n’y a évidemment aucun problème pour caractériser une réserve assortissant la réception judiciaire. En revanche, en l’absence de demande de reprise formulée par le maître de l’ouvrage, l’existence de réserves est nettement plus discutable. Tel était précisément le cas dans l’affaire à l’origine de l’arrêt. Pour considérer qu’aucune réserve n’affectait la réception, les juges d’appel avaient constaté qu’aucune remarque ou observation n’avait été émise par le maître de l’ouvrage et que celui-ci avait même payé l’intégralité du prix appelé sans émettre la moindre contestation. La troisième Chambre civile juge que ces motifs sont impropres à exclure le prononcé d’une réception judiciaire assortie de réserves. Elle casse donc l’arrêt d’appel pour défaut de base légale. Il en, ressort qu’au-delà des seules contestations ou demandes de reprise émises par le maître de l’ouvrage, les juges du fond, pour apprécier les éventuelles réserves pouvant affecter une réception judiciaire, doivent prendre en compte les désordres dont il est établi qu’ils étaient apparents pour le maître de l’ouvrage à la date retenue de la réception.
Les deux autres arrêts rapportés sont relatifs aux conditions de la réception tacite. En application des dispositions de l’article 1792-6 du Code civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle suppose donc une manifestation de volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage. A défaut d’écrit, la constatation d’une réception tacite implique que soit caractérisée la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Cette caractérisation est le plus souvent opérée par la réunion d’un faisceau d’indices. Dans un arrêt publié, rendu en date du 24 novembre 2016 (Cass. civ. 3ème, 24 novembre 2016, n° 15-25.415, Bull.), la Haute juridiction a clairement posé en principe que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement quasi intégral du prix par le maître de l’ouvrage faisaient présumer sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage. La jurisprudence est constante et le principe bien établi (par ex/. Cass. civ. 3ème, 2 mars 2022, n° 21-12.770). Les arrêts des 20 mars et 3 avril 2025 en sont des parfaites illustrations.
Dans l’arrêt du 20 mars 2025, malgré la prise de possession du bien et le paiement du prix des marchés, les juges du fond avaient écarté la réception tacite considérant, sans autre précision, que la preuve de la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage n’était pas rapportée. La cassation pour défaut de base légale était inévitable. En effet, lorsque le maître de l’ouvrage a pris possession du bien et payé le prix des travaux, celui qui conteste la réception doit rapporter la preuve d’une volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage (Cass. civ. 3ème, 13 juillet 2016, n° 15-17.208 ; Cass. civ. 3ème, 15 septembre 2016, n° 15-20.143). La solution est donc classique et cohérente.
Dans l’arrêt du 3 avril 2025, la cassation intervient également pour défaut de base légale. Là encore, les juges du fond avaient refusé de constater une réception tacite en présence d’un paiement intégral du prix et d’une prise de possession. Simplement, l’arrêt présente une petite particularité. En effet, la prise de possession était ici impliquée par le fait que le maître de l’ouvrage avait procédé à la cession des lots, « laquelle supposait une prise de possession préalable » selon la Cour (pour un arrêt dans lequel la livraison aux acquéreurs en l’état futur d’achèvement par le vendeur avait permis de constater une réception tacite de l’ouvrage : Cass. civ. 3ème, 10 mars 2015, n° 13-26.896).
Pour des développements complets sur la réception de l’ouvrage, ses modalités et ses effets, nous vous invitons à consulter le Chapitre 1 « La réception » du Tome I de notre Traité de la construction.
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