Les conditions posées par la jurisprudence pour admettre la présomption de réception tacite (prise de possession et paiement intégral ou quasi intégral) doivent être adaptées à la situation des travaux sur existants.
La condition de prise de possession peut en effet être affectée par le fait que le maître de l’ouvrage continue à occuper les lieux pendant la réalisation des travaux.
Cass. 3ème civ., 23 mai 2024, n° 22-22938, Bull.
Résumé : En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux
Faits et procédure
2. Selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 12 septembre 2022, rectifié le 24 octobre 2023), courant 1993, la commune de [Localité 9] (la commune) a fait édifier un complexe socio-culturel et sportif.
3. Elle a souscrit une police d’assurance dommages-ouvrage auprès de la société Pfa, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD.
4. La réception de l’ouvrage est intervenue le 2 février 1994.
5. Par lettre du 15 novembre 2001, la commune a dénoncé à l’assureur dommages-ouvrage l’apparition de fissures importantes en façade, et celui-ci a confié une mission d’expertise à la société Silex.
6. La société Silex a remis un rapport le 6 octobre 2003 et des travaux de réparation ont été réalisés en février 2004 par la société Surfaces et structures, assurée auprès de la société Gan assurances, sous la maîtrise d’oeuvre de la société Athis, assurée auprès de la SMABTP.
7. Par lettres des 27 octobre 2004 et 29 avril 2005, la commune a dénoncé à l’assureur dommages-ouvrage l’apparition de nouvelles fissures, en indiquant que la stabilité de la structure était compromise et que les travaux de reprise avaient été inefficaces.
8. La commune a assigné les constructeurs et les assureurs par actes du 20 février 2014, puis la société Silex par acte du 2 juillet 2015.
9. La société Surfaces et structures a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 12 octobre 2023 et les sociétés Silex et Allianz IARD ont repris l’instance de cassation contre M. [Y], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
17. Par son troisième moyen, la société Silex fait grief à l’arrêt, jugeant inapplicable la responsabilité décennale faute de réception, de déclarer irrecevables les demandes formées par la commune contre la société Athis, la SMABTP, la société Surfaces et structures et la société Gan assurances, alors « que le paiement de l’intégralité des travaux d’un lot et sa prise de possession par le maître de l’ouvrage valent présomption de réception tacite ; qu’en écartant toute réception cependant qu’elle constatait que le maître de l’ouvrage avait payé l’intégralité des travaux réalisés (seules des finitions restant à effectuer et à régler) et qu’il occupait les lieux, circonstances qui emportaient présomption de réception, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article 1792-6 du code civil. »
18. Par son moyen, la société Allianz IARD fait grief à l’arrêt, jugeant inapplicable la responsabilité décennale faute de réception, de rejeter les demandes de la commune formées contre la société Gan assurances, de déclarer irrecevables les demandes formées par la commune contre la société Athis, la SMABTP, la société Surfaces et structures, de rejeter, après avoir écarté la responsabilité décennale, le recours exercé par la société Allianz IARD contre la société Gan assurances et de déclarer irrecevable son recours exercé contre les sociétés Athis, SMABTP et Surfaces et structures, alors :
« 1°/ que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves ; que les parties peuvent déroger expressément ou tacitement au principe d’unicité de la réception ; que la réception de l’ouvrage peut être partielle et intervenir par tranches de travaux successives et distinctes, même dans le cadre d’un marché unique ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a jugé, pour écarter toute réception, que les travaux réalisés étaient l’essentiel des travaux ayant fait l’objet du devis accepté par le maître de l’ouvrage, « ceux restant à réaliser étant qualifiés dans le devis de « travaux de finition » pour un montant résiduel de 7 416,64 euros » et étant « de nature distincte de ceux figurant aux chapitres I et II du devis (préparatoires et d’exécution du « chain actif ») », mais que « l’ensemble des travaux confiés à la société Surfaces et structure correspondait à une unique mission, non susceptible d’être divisée en tranches, de travaux de reprise de désordres préexistants avec un temps de latence avant les finitions » ; qu’en statuant ainsi, tandis qu’elle constatait le caractère distinct et successif des travaux réalisés par rapport à ceux restant à effectuer, de sorte que la mission de la société Surfaces et structures, bien qu’unique, était susceptible d’être divisée par tranches successives et donc de donner lieu à des réceptions partielles, la cour d’appel a violé l’article 1792-6 du code civil ;
2°/ que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves ; que l’achèvement de la totalité de l’ouvrage n’est pas une condition de la réception ; qu’en l’espèce, en jugeant, pour écarter toute réception, que « l’ensemble des travaux confiés à la société Surfaces et structure correspondait à une unique mission ( ) et qui n’était pas achevée à la date du règlement de cette facture intermédiaire », tandis que l’achèvement des travaux n’est pas une condition de la réception, la cour d’appel a violé l’article 1792-6 du code civil ;
3°/ que le paiement de l’intégralité des travaux d’un lot et sa prise de possession par le maître de l’ouvrage valent présomption de réception tacite ; qu’en l’espèce, en écartant toute réception, tandis qu’elle constatait que le maître de l’ouvrage avait payé l’intégralité des travaux réalisés (seules des finitions restant à effectuer et à régler) et qu’il occupait les lieux, circonstances qui emportaient présomption de réception, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article 1792-6 du code civil. »
Examen des moyens
Réponse de la Cour
19. En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux.
20. La cour d’appel a relevé que, selon les préconisations de la société Silex, les travaux de réparation comprenaient un temps de latence entre le gros oeuvre et les finitions, destiné à observer le comportement du bâtiment.
21. Elle a constaté que les travaux de finition n’avaient été ni exécutés ni payés, alors qu’ils faisaient partie d’une mission unique dont elle a souverainement retenu qu’elle n’était pas susceptible d’être divisée en tranches.
22. Ayant également relevé que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux avant l’exécution des travaux, elle a souverainement retenu que ces circonstances, qui ne permettaient pas de présumer une réception tacite, ne caractérisaient pas sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage.
23. Les moyens ne sont donc pas fondés.