La Cour de cassation précise dans cet arrêt le sens et la portée de sa jurisprudence de 2003 relative au fondement de la demande d’indemnisation par le maître de l’ouvrage des dommages immatériels consécutifs à un dommage de gravité décennale.
Dans la logique voulant que l’accessoire suive le principal, la Cour de cassation admet que la demande d’indemnisation au titre des dommages immatériels est fondée sur la responsabilité décennale du construction (C. civ., art. 1792) comme la demande de réparation des dommages matériels affectant l’ouvrage.
En revanche, l’indemnisation desdits dommages immatériels consécutifs (DIC) ne peut relever des assurances obligatoires, seules les garanties facultatives souscrites au titre du contrat RCD (dommages immatériels consécutifs) ou de la police d’assurance de responsabilité professionnelle (dommages immatériels non consécutifs) ont vocation à s’appliquer.
Cass. 3ème civ., 15 février 2024, n° 22-23179
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2022), la société Redel a fait construire un immeuble à usage d’habitation dont elle a vendu des lots à la société civile immobilière SEPPI (la SCI) par acte authentique du 19 octobre 2011.
2. La réception de l’ouvrage a été prononcée par la société Redel les 2 et 7 février 2012.
3. La société Redel a été dissoute et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur amiable.
4. Se plaignant de différents désordres, la SCI a assigné en réparation, notamment, la société Redel et ses assureurs de responsabilité décennale, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande formée au titre du préjudice de jouissance, alors « que tous les dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l’ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de l’article 1792 du code civil ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a jugé que « deux désordres feront l’objet d’une indemnisation » ; que sur le désordre 40, concernant les WC, elle a retenu que « ce désordre n’était pas visible lors de la réception et qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination. Il y a par conséquent lieu de dire que la responsabilité de la société Redel est engagée sur le fondement de la garantie décennale » ; que sur le désordre 64, concernant le non-respect des règles relatives à la sécurité contre les risques incendies, elle a observé que « l’expert a relevé qu’un interrupteur avait été installé sur une gaine technique dans le séjour annulant l’effet coupe-feu », et que « dès lors qu’il engendre un risque pour la sécurité des personnes, il rend l’ouvrage impropre à sa destination. Son caractère décennal est par conséquent acquis, la société Redel engageant sa responsabilité sur ce fondement » ; qu’en retenant néanmoins, pour la débouter de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance, que « la Sci Seppi ne rapporte pas la preuve d’un trouble de jouissance, ni a fortiori d’une privation, fût-elle partielle, de l’appartement », et « qu’en tout état de cause et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1792 du code civil :
7. Selon ce texte, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
8. Il s’ensuit que tous dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l’ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de ce texte.
9. Pour rejeter la demande formée par la SCI au titre d’un préjudice de jouissance, résultant de l’impossibilité d’habiter ou de louer l’appartement, l’arrêt retient que seuls deux désordres font l’objet d’une indemnisation, que la SCI ne rapporte pas la preuve d’un trouble de jouissance, ni a fortiori d’une privation, fût-elle partielle, de l’appartement et qu’en tout état de cause, et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter.
10. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que deux désordres rendaient l’ouvrage impropre à sa destination, dont un en raison d’un risque pour la sécurité des personnes, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.