Cass. 3ème civ., 30 avril 2025, n° 23-21040
Par C. Charbonneau et J.-P. Tricoire
La responsabilité des constructeurs n’est fondamentalement pas une responsabilité solidaire. Seule une prévision contraire peut conduire à une solidarité dans les conditions contractuellement prévues. Néanmoins, en pratique, la réalisation de l’ouvrage, qui suppose l’intervention d’un grand nombre d’acteurs autour d’un objet commun (l’édification de l’ouvrage), conduit à favoriser l’existence de situations de contributions communes à la survenance d’un dommage unique. C’est évidemment le cadre privilégié de condamnations in solidum, fréquentes en droit de la construction.
Le plus souvent, les dommages matériels affectant l’ouvrage sont susceptibles d’être distingués les uns des autres. Il appartient alors au juge de déterminer pour chacun de ces désordres la contribution de chaque constructeur à sa survenance. Ainsi, il existera le plus souvent plusieurs chefs de condamnation et pour chacun d’eux, une condamnation in solidum des constructeurs ayant contribué ensemble à sa survenance.
La question de l’indemnisation des dommages immatériels doit-elle être traitée de la même façon ? C’est la question résolue par le présent arrêt.
La Cour d’appel de Reims avait cru pouvoir condamner l’ensemble des constructeurs jugés responsables de plusieurs désordres matériels à réparer les préjudices immatériels des maîtres de l’ouvrage au motif « qu’ils sont responsables in solidum des désordres ayant causé les préjudices de jouissance ».
La Cour de cassation opère ici une cassation au visa de l’article 1231-1 du Code civil.
Elle rappelle d’abord un principe central voulant que « les différents intervenants à l’acte de construire ne peuvent être condamnés in solidum à réparer le préjudice du maître de l’ouvrage que si, par leurs fautes respectives, ils ont contribué de manière indissociable à la survenance d’un même dommage ».
Ce principe est restrictif. En effet, comme nous l’avons rappelé, il ne peut s’agir ici d’inventer une solidarité que le législateur n’a pas prévue. C’est ce qui explique l’usage du « ne… que » qui caractérise un raisonnement en entonnoir aboutissant à restreindre le champ d’application de l’in solidum.
La Cour de cassation fige donc ici les conditions de toute condamnation in solidum. Les termes employés sont remarquables. En effet, le juge doit à la fois caractériser les fautes respectives de chacun, la survenance d’un dommage unique mais surtout la contribution indissociable de ces derniers à la survenance du même dommage.
Si les deux premières exigences sont classiques, l’utilisation du terme contribution « indissociable » est à relever.
La Haute juridiction applique ce principe aux circonstances de l’espèce dans la cassation technique (motif n° 9).
Elle note que l’arrêt attaqué a retenu qu’une seule entreprise était responsable de certains des désordres affectant le sous-sol. La Cour de cassation estime que les juges du fond auraient dû « caractériser en quoi les manquements respectifs des constructeurs étaient à l’origine de préjudices de jouissance et moraux indissociables ».
Comme souvent, la cassation pour défaut de base légale instruit en pratique. En effet, la Haute juridiction souligne ici que, et ce compris pour les dommages immatériels, il convient de déterminer pour chaque dommage matériel et chaque constructeur leur imputabilité dans l’inutilisabilité de l’ouvrage.
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